“Comme si je prélevais une tribune et que je la transportais au théâtre”
#LeSportPartout - 13 septembre 2017
#CultureSport. Grand Prix de Littérature Dramatique 2016, Mohamed El Khatib a travaillé pendant 2 ans sur le projet “Stadium” qui ouvre la saison 2017-2018 du Quai CDN à Angers les 21 et 22 septembre prochains. Un spectacle réunissant dans une même salle les supporters du club de foot professionnel du RC Lens et les afficianodos de théâtre… Une vraie rencontre entre deux mondes. Le metteur en scène s’est exprimé sur le processus de création de cette pièce dans le dernier numéro de Divague, la revue du Quai. Extraits.
Lorsque vous évoquez la création de Stadium, vous dites qu’il y aurait comme une envie de travailler sur une passion, le football, un peu honteuse…
La création de Stadium naît d’un double mouvement. Il y a le rapport au football, une passion un peu honteuse dans le milieu intellectuel ou artistique, et une aventure intime. Le football est communément considéré comme un sport où onze millionnaire courent autour d’un ballon, la version la plus barbare du capitalisme. Où les supporters sont des ramassis de gens grégaires à moitié racistes qui passent leur temps à gueuler. De fait ce n’est pas le genre de pratique que l’on peut mettre spontanément en avant, d’autant plus quand on a un parcours de transfuge de classe comme moi qui suis issu d’un milieu populaire, de la classe ouvrière. Mais je suis passé en hypokhâgne et en khâgne, j’ai découvert tout un univers avec des gens qui n’étaient pas de mon milieu et j’avais un tel désir d’appartenance à cette époque-là, à ce milieu-là, ce nouveau milieu, que j’avais tendance à cacher mes origines et mon goût pour le football. Et puis avec le temps une forme de réconciliation s’est mise en place (…) Même si je m’empare de la classe ouvrière en travaillant avec les supporters du RC Lens, je ne veux pas non plus la mythifier, dire que tout est formidable, mais la montrer telle qu’elle est. Avec sa générosité notamment, mais sans en gommer la violence.
Quels liens originels avez-vous avec le football ?
Ma culture footballistique vient de mon père. J’ai joué en équipe de France junior mais une mauvaise blessure m’a empêché de devenir professionnel. Je suis passé par le centre de formation du Paris Saint-Germain. J’ai le sentiment d’avoir une compréhension intime des enjeux du football, au niveau professionnel et amateur, mais aussi des rapports avec les supporters. Il faut vivre ce qui se passe dans la tribune Marek du stade Bollaert à Lens pendant un match. Cette tribune est mythique, la plus populaire, il y a peu d’endroit qui soit aussi festif et où l’on éprouve de telles sensations. Ce qui s’y joue n’est pas grégaire mais vivant, l’énergie collective est débordante. Un endroit rare où le lien social ne s’est pas délité, même si, quand un noir marque un but on peut y entendre “dégage Blanche-Neige”. Un des chefs de choeur des supporters m’a dit un jour : “Je suis fils de mineur, communiste, et ça me fait mal de me dire que parmi les 30 000 personnes qui sont avec moi dans le stade, la moitié vote Marine Le Pen”. Stadium me permet aussi de poser ces questions-là.
Comment abordez-vous ces questions ?
Je pratique le Ready-made (…) A Lens, il y a une culture historique, une culture ouvrière importante avec les bassins miniers, une réelle mixité sociale où, au stade, des chefs d’entreprise, des médecins partagent les tribunes avec des ouvriers. C’est une vraie exploration sociologique ! Stadium est une série de portraits et de moments, le temps d’un match, mais en dehors, dans une vie, la vie d’un supporter, comment cela structure sa vie, du lundi au dimanche, et comment cela structure aussi le calendrier annuel ! (…) Il y aura une dizaine de portraits de personnes d’âges différents, d’une dizaine d’années à 97 ans. Des trajectoires politiques différentes, certains ayant des pratiques indépendantes d’amateurs éclairés, et d’autres qui se fichent un peu de ce qui se passe sur le terrain mais qui viennent pour l’ambiance. Comme si je prélevais une tribune et que je la transportais telle quelle sur un plateau de théâtre face au public. Le travail d’écriture consiste à réécrire avec les gens qui seront présents des moments les concernant à partir des heures d’entretiens filmés que nous avons réalisés, et ainsi aborder différentes facettes de ce qui peut se passer.
Votre base de travail est donc documentaire, vous y avez passé beaucoup de temps ?
En tout, deux ans sur place. Nous allons voir des matchs, nous passons du temps dans les bars, on sympathise, on va chez les gens, on y retourne… on attend qu’une certaine confiance s’installe. C’est le fruit d’un long processus d’immersion mais une fois la confiance établie et partagée on peut commencer à construire, à mettre en forme et à organiser le spectacle et la rencontre de gens qui ne se rencontrent pas d’habitude : des supporters de foot et un public de théâtre. 95% des supporters ne vont pas au théâtre et il y a peu de gens de théâtre qui soient également des supporters de foot. Cette galerie de portraits suit une trajectoire dramaturgique construite en fonction des matériaux que l’ai récupérés. Il y a des portraits intimes, des portraits plus collectifs. La plupart du temps je retouche très peu la matière originelle et si c’est le cas, ce n’est que pour rendre les choses suffisamment lisibles. Je fais ensuite tout un travail d’agencement, de copier coller.
Quelles sont les grandes thématiques que vous allez traverser ?
L’intime. Quelles traces laisse cette pratique de supporter dans la vie intime. Certains exemples posent la question de la passion, de la passion dévorante (…) La politique aussi. C’est la seconde thématique qui anime Stadium. Comment leurs trajectoires politiques s’inscrivent dans une histoire familiale et sociale. Comment des gens, pour des raisons de misère sociale, au chômage, sont captés par le discours d’extrême droite qui profite de cette misère. Pourtant la plupart ne sont pas racistes, c’est un vote aui aujourd’hui canalise la protestation. Nous aborderons aussi la question de l’homophobie et du racisme. Et la dernière thématique qui nous importe est celle de la liberté de supporter (…) C’est passionnant de voir comment les supporters essaient de détourner les codes et les règles pour produire des slogans et de la réflexion. Ils montent des associations pour organiser la liberté de circulation car aujourd’hui les supporters sont fichés sans que cela rentre dans aucun cadre légal. C’est de la présomption de culpabilité.
Propos recueillis par Hervé Pons. Entretien complet à lire dans le N°2 de Divague, la revue du Quai CDN, disponible sur place.