“Réconcilier la danse et le foot”
#LeSportPartout - 19 septembre 2017
#CultureSport. Danseuse et étudiante, Auranne Brunet-Manquat vient de passer 2 années au Centre National de Danse Contemporaine (CNDC) d’Angers. Dans le cadre de sa formation, elle a imaginé une chorégraphie en solo intitulée “5 minutes de temps additionnel”. Un projet construit à partir de l’observation des représentations artistiques et de la gestuelle du joueur de football. Auranne revient ici sur le processus de création et la préparation nécessaires à cet effort singulier, avant de le présenter ce jeudi à 18h au Quai en marge de la conférence “Le foot est-il un art ?” et du spectacle “Stadium”.
Par Valentin Deudon
Photos RL Photographies-Régine
Peux-tu nous présenter ton parcours de danseuse ?
J’ai débuté en danse classique à l’âge de 7 ans, chez moi à Grenoble. J’ai toujours beaucoup pratiqué, en étant dès le collège dans une structure adaptée danse-études. Puis j’ai intégré le conservatoire d’Avignon pendant 4 ans, où je me suis progressivement tournée vers la danse contemporaine. Un choix devenu définitif au CNDC à Angers, où je viens de vivre 2 années très sportives, intenses et formatrices. Aujourd’hui, je digère un peu tout cet apprentissage en passant à Nantes le Diplôme d’Etat, pour pouvoir enseigner la danse, et en imaginant différents projets pour le futur.
Au CNDC, chaque étudiant doit créer une chorégraphie de 5 minutes, en solo, et tu as décidé de travailler sur le thème du football. Pourquoi ?
Je voulais d’abord profiter de ce projet pour surprendre, me surprendre. Sortir de ma zone de confort en faisant un choix qui choquait un peu avec ma personnalité et ma manière habituelle de danser. C’est le point de départ personnel. Et puis, j’avais envie de travailler sur le milieu sportif, même si je ne m’y intéressais pas spécialement. Encore moins le foot qui m’ennuyait même… Mais son côté ultra-populaire, presque automatique, me questionnait. Le déclic est venu pendant un trajet en voiture pendant lequel je me suis retrouvée contrainte à écouter, avec mes frères et mon beau-père, un match de foot à la radio. En entendant le rythme des commentaires, leur aspect parfois radical, j’ai eu l’impression de capter tout un potentiel imaginaire. C’est devenu presque fascinant, j’ai pensé à des scénarios drôles, invraisemblables. Et j’ai eu envie de transformer ça en chorégraphie, d’essayer de le transmettre au public.
Comment a démarré concrètement ton travail ?
Par une phase de recherches documentaires. Les commentaires des journalistes et leurs variations de rythme au départ, qui allaient constituer avec des bruits de stade la base de la bande son du solo. J’ai consulté quelques livres qui évoquaient la technique pure, d’autres qui parlaient de la force universelle du foot. J’ai aussi fouillé dans les représentations d’artistes comme Nicolas de Stael. Puis je me suis installée devant un match pendant 90 minutes, en direct à la télé, en prenant soin de ne pas me focaliser que sur le ballon. Je voulais observer les mouvements des joueurs, surtout ceux qui n’avaient pas la balle, et j’ai découvert beaucoup de variété. Là, le match n’était plus du tout ennuyeux, il est même passé très vite !
L’objectif était ensuite d’intégrer certains des mouvements propres au footballeur à l’intérieur d’un solo de danse ?
C’est ça, j’ai isolé quelques gestes dont je voulais m’inspirer pour construire la chorégraphie. Le gardien, la vision des remplaçants, décomposer une frappe au ralenti… Mais avant de danser, la première étape pour moi – essentielle – a été d’apprendre à réaliser ces gestes. Pour être certaine d’être crédible et de proposer de la vérité au public. Je ne voulais surtout pas tomber dans la caricature.
Pas trop dur d’apprendre à jouer au football en peu de temps ?!
Si, très compliqué ! D’autant que je ne savais rien faire avec un ballon. En revanche, en danse on sait imiter et reproduire les mouvements des autres. Donc nous nous sommes posées dans un parc avec une amie qui sait jouer et elle m’a montré quelques gestes que j’ai reproduit par mimétisme, sans ballon. D’une manière générale, j’ai vécu tout cela comme un combat, car cette gestuelle foot n’était pas la mienne. J’ai une préférence pour les mouvements doux, amples, ronds… Là c’était sec, rythmé, donc plus traumatisant pour le corps. Ce solo me demande toujours une grosse préparation et un vrai effort, comme le footballeur pour un match.
Après la recherche des gestes foot, comment s’est fait in fine le transfert vers la danse ?
Je me suis tellement concentrée dans un premier temps à maîtriser les gestes du foot que je n’arrivais plus trop ensuite à danser avec. Finalement, en oubliant la technique foot et en m’inspirant de la peinture “Footballeur” de Salvador Dali, je suis partie sur une improvisation qui m’a débloquée. Il fallait que j’aie la technique foot, au plus réel, pour ensuite m’en détacher et faire de la danse. Au final, le solo est un enchaînement de 8 “phrases” (les différents moments d’une chorégraphie, ndlr) sans logique temporelle, qui réunit le foot et la danse.
Comme un mariage entre deux sports que l’on oppose souvent…
Je voulais réconcilier la danse et le foot. “La danse pour les filles, le foot pour les garçons…”, il faut déconstruire ça. Ce solo, c’est aussi un moyen d’utiliser un sport qui est dans la lumière pour faire connaître la danse et sa réalité, casser les préjugés sur une activité qui est à la jonction de l’art, de la culture et du sport. J’ai vu tout le potentiel éducatif et ludique de cette chorégraphie lors d’ateliers organisés avec des enfants. Même les garçons, parfois réticents pour danser, étaient à fond car on parlait aussi de foot. C’est un inducteur génial pour amener à la danse, la démocratiser.
Que souhaites-tu transmettre au public qui viendra assister à la représentation jeudi ?
L’enjeu pour moi est de transmettre la réalité d’un match de foot, tout en laissant une grande place à l’imaginaire du spectateur. Comment moi, danseuse, je vais pouvoir transmettre la vérité et la complexité d’un match de football qui réunit 22 joueurs ? Comment les faire exister et faire exister un jeu collectif alors que je suis seule sur scène ? Ce sont les questions que je me suis posées durant la préparation. J’espère que le public va imaginer comme je le fais d’autres joueurs, des fantômes, pour créer un jeu à plusieurs.