« L’entraîneur et son boxeur c’est comme un couple »
#LesIndispensables - 11 décembre 2018
#ParolesDeCoach. Entre la connaissance pointue de sa discipline, la planification d’un projet global, ou l’indispensable gestion humaine et émotionnelle – sans compter les innombrables décisions à prendre pour tenter d’influencer (positivement !) le cours des choses – l’entraîneur est bien souvent un être fascinant à observer, toujours passionnant à écouter. Ses mots sont cruciaux, car à la base de son action, à savoir faire passer des messages. Pour le dernier épisode en 2018, nous sommes allés à la rencontre de Patric Bahamed-Athlan, cadre technique à Angers Boxing Club et entraîneur du récent champion d’Europe Georges Ory. À 58 ans, dont 34 passés au bord des rings, il continue de transmettre son expérience et sa science de la boxe.
Propos recueillis par Charles DUBRÉ-BEDUNEAU
Débuts d’entraîneur à 24 ans: « J’ai toujours été un peu un leader »
« Ma carrière de boxeur n’a duré que cinq ans (une année en loisir de 1980 à 1981 puis quatre ans en amateur). J’ai été forcé à m’arrêter en juin 1984 à cause d’un décollement de la rétine. Mais je ne voulais pas m’éloigner de la boxe et comme à l’époque j’étais déjà un peu un leader, je me suis dirigé naturellement vers le coaching. J’ai donc passé mes diplômes et je suis devenu prévost fédéral (cadre technique) en 1987. En 1989 j’ai créé le Trélazé Boxing Club dans lequel j’ai pu développer et tester mes propres méthodes. Puis entre 1995 et 2008 j’ai fait découvrir la boxe anglaise aux jeunes des quartiers de Jean Villar, La Roseraie, Monplaisir. Ce n’était pas toujours facile mais c’était une très belle expérience. J’ai réussi à créer des liens et des échanges d’une richesse incroyable. J’ai appris énormément sur moi-même et surtout j’ai déniché des talents, notamment trois futures championnes de France et Georges Ory. »
Sa philosophie: « Ne jamais mentir »
« Je n’ai jamais menti à un boxeur, que ce soit à la salle ou dans un quartier. C’est simple: si un boxeur n’est pas bon, je lui dis. Il faut être honnête et dire la vérité, même si elle est dure à entendre parfois, car une fois sur le ring, on ne peut pas se cacher ou s’échapper. Si le boxeur n’est pas prêt physiquement ou mentalement, son adversaire va vite le sentir et il ne pourra pas faire illusion très longtemps. Un boxeur et son entraîneur c’est un peu comme un couple. On passe tellement d’heures ensemble à la salle à s’entraîner et sur la route… On grandit ensemble, c’est un travail d’équipe. Je passe plus de temps avec mes boxeurs qu’avec mes propres enfants. Mais parce qu’il faut du temps et de la patience pour qu’une relation de confiance s’installe. Et quand je fais quelque chose, c’est toujours à 100%, sinon ça ne sert à rien. Je suis entraîneur bénévole mais j’essaie d’être le plus professionnel dans ce que je fais. Je dis souvent à mes boxeurs: « On ne nait pas champion, on le devient ». Georges Ory en est le parfait exemple. Il a énormément travaillé et fait preuve de beaucoup de persévérance pour arriver là où il est aujourd’hui. Malgré les défaites lors de ses premiers combats, il était déterminé à continuer. On ne devient pas un grand boxeur en deux-trois ans. Il faut en moyenne cinq-dix ans. Pareil pour un entraîneur: pour moi, il faut au moins 15 ans de salle avant de devenir un bon coach. »
Les valeurs de la boxe: « Le respect et l’écoute »
« La première valeur que j’enseigne à mes boxeurs et boxeuses, qui m’a été inculquée par mes parents, c’est le respect. Le respect envers tout le monde: leurs partenaires d’entraînement, leur entraîneur, leurs adversaires, l’arbitre… J’attends d’eux qu’ils se comportent sur le ring comme dans la vie. J’essaie d’apporter un cadre. Certains jeunes en ont besoin, ils découvrent qu’il y a plus de règles à la salle que chez eux… Une autre valeur très importante de la boxe est l’écoute. Un boxeur ne pourra jamais progresser s’il n’est pas à l’écoute. Il faut accepter les remarques et critiques pour pouvoir avancer. Tout comme il ne faut pas avoir peur de prendre des coups et tomber pour mieux se relever. »
Les combats: « Je prends les coups avec eux, je pleure avec eux »
« Je m’investis énormément auprès des boxeurs et boxeuses que j’entraîne. Je ne veux pas qu’on me reproche de ne pas avoir été assez présent et je ne veux surtout pas qu’un boxeur ait de regrets. On peut perdre contre plus fort, mais il faut tout donner. C’est à la fois se respecter soi-même mais aussi respecter son adversaire. Quand un boxeur ou une boxeuse débute, je n’aime pas mettre trop de pression; je dis souvent: « Si tu gagnes, c’est bien, si tu perds ce n’est pas la fin du monde ». Souvent, les filles ont moins d’appréhension que les garçons, surtout lors des premiers combats, comme si elles avaient moins conscience du danger. Sur le bord du ring, je vis tous les combats à fond: je prends les coups avec eux, je souffre avec eux, je pleure avec eux… je peux perdre jusqu’à 2 kg pendant un combat! »
Le mental en boxe: « Il se construit tous les jours à l’entraînement »
« Il y a trois axes principaux à travailler en boxe: la technique, le physique et le mental. L’aspect mental est indispensable pour espérer se faire une place au haut niveau, c’est ce qui fait la différence. Certains ont déjà un gros physique ou un bon mental à 16 ans mais il faut insister sur l’importance d’une bonne hygiène de vie et l’assiduité aux entraînements pour performer dans la durée. La boxe ne permet pas beaucoup d’écarts. Sur un ring, il ne faut jamais baisser sa garde. La préparation sert à sortir le boxeur de sa zone de confort, le pousser dans ses retranchements. Si les boxeurs me détestent à l’entraînement, c’est que je fais bien mon boulot. C’est dans ces moments-là que les boxeurs se révèlent et que je vois s’ils sont prêts à se forger un mental à toute épreuve. Et je me dois d’être aussi fort mentalement qu’eux: je ne peux pas me permettre de leur transmettre mon stress juste avant un combat. Mon rôle est aussi de savoir bien alterner les combats durs et les combats plus « faciles » selon la forme et les objectifs de chacun. Pour cela il faut non seulement bien connaître son boxeur mais aussi le profil de ses potentiels adversaires. Je fais entre 12 et 14 000 km par an pour aller voir des combats et évaluer de possibles futurs adversaires. Cela étant dit, il ne faut surtout pas négliger les phases de repos, elles font partie intégrante de la préparation. Il est important de savoir prendre le temps de se ressourcer en famille, pour décompresser. »