Le journalisme sportif est-il encore utile ? Épisode 1 : la course à l’information
#Association - 26 février 2019
#Association. Lives, blogs, réseaux sociaux… Internet a démocratisé une multitude de nouveaux moyens de suivre le sport et de s’informer. Déclarations des acteurs, compositions d’équipe, résultats sportifs : tout est à portée de clic, sans besoin d’ouvrir un journal ou d’allumer son poste de radio ou de télé. Comment les médias sportifs se sont-ils adaptés à cette nouvelle ère de l’information ? Cette semaine, découvrez le premier épisode de notre mini-série : la course à l’information.
“Les journalistes desk ont trois écrans devant eux. Ils affichent Instagram, Twitter et Facebook et rafraîchissent en permanence les pages. C’est “à qui sera le premier dans la récupération”(sic).” C’est ainsi que Clément Brossard, pigiste reporter sportif, décrit le quotidien de certains confrères. Chaque jour, le travail d’une grande partie des journalistes est un mélange entre course à l’exclusivité et veille sur les réseaux sociaux. Mercato, performances, déclarations… La presse sportive n’est en aucun cas étrangère à ce phénomène.
Un phénomène ancien
“Les grandes agences se sont bagarrées pour utiliser le télégraphe qui permettait de diffuser l’information de plus en plus vite”, raconte Jean-Marie Charon, sociologue des médias et du journalisme. La course à l’information ne date pas d’hier et n’est pas nécessairement liée à Internet pour le chercheur. “On ne peut pas entièrement rattacher la question de l’instantanéité ou de l’accélération du traitement à internet car, si on regarde l’évolution du journalisme, on voit que c’est plus globalement le numérique notamment dans l’audiovisuel, qui a commencé avec les radios et les chaînes d’information en continu.”
Pour Emmanuel Esseul, chef du service des sports de Ouest-France à Angers, ”Internet a lancé le début de la course à l’information”. L’arrivée d’Internet a modifié la vitesse de traitement des informations dans les rédactions de sport comme l’évoque Pierre-Yves Croix, chef des sports au Courrier de l’Ouest. “Avant le web, c’était la radio, la télé et la presse écrite qui donnaient le rythme.” En presse écrite, le tempo est plus long d’après lui. Mais les choses ont évolué : “Dorénavant, il faut être dans l’instant des choses, juste après l’information.” Son confrère de Ouest-France fait le même constat. “Dès qu’une information est à portée de main d’un journaliste, il la publie rapidement sur le site de son média pour informer ses lecteurs. Sauf en cas d’exclusivité, où on la garde pour l’édition du lendemain.”
Mais la rapidité a parfois tendance à prendre le pas sur la qualité, voire la fiabilité de l’information. “L’instantanéité fait perdre au journaliste une caractéristique : sa capacité à prendre du recul, à avoir un point de vue, sa capacité à enrichir”, analyse le sociologue des médias et du journalisme, Jean-Marie Charon. Ça a été le cas avec la retraite du tennisman Lucas Pouille, annoncée sur son compte Instagram suite à la défaite en Coupe Davis. L’information était fausse, l’intéressé affirmant que son compte avait été “hacké”. L’instantanéité “n’empêche pas des temps de réflexion et d’analyse”, commente Pierre-Yves Croix.
Sport et direct, une histoire commune
Le sport et l’instantanéité sont liés. “En radio, le sport a été l’occasion de faire les premiers directs, avec les courses de cyclisme”, se remémore Jean-Marie Charon. Certains médias sportifs ont fait le choix d’aller au bout de la logique de l’information en continu à travers des plateformes spécialisées ou en utilisant les réseaux sociaux, avec des live-tweets ou des live Facebook. “À l’AFP Sports, nous nous étions lancés dans la production de live-textes, il y a quatre ou cinq ans. C’était techniquement et journalistiquement bon mais c’était trop cher. Nous avions privilégié l’être humain (N.D.L.R., pigistes), mais comparé au coût d’un robot…”, raconte Eric Lagneau, ancien chef du service sportif de l’agence. Autre problème, de nombreux médias, comme L’Équipe, ont déjà leur propre plateforme et une équipe qui s’occupe des directs, sans compter les nombreux lives proposés sur les réseaux sociaux ou sur des sites spécialisés. « Cette question de l’instantanéité du live réalise un idéal du journalisme. Cette course s’arrête au moment où l’événement se produit. On ne peut pas aller plus loin », analyse le sociologue des médias. La mise en perspective et l’analyse sont plus compliquées en direct. Avec ce manque de recul, le journaliste peut être pris par le spectacle surtout s’il n’a pas l’expérience et les connaissances pour relativiser les faits en direct.
Les réseaux sociaux, la nouvelle variable
Quand les journalistes de sport ne suivent pas en direct une manifestation sportive, la recherche d’informations peut s’avérer plus compliquée, notamment pour des sports ou des niveaux peu médiatisés. Dans le cas des sports locaux, “les athlètes et les clubs peuvent partager voire commenter les résultats via les réseaux sociaux, ce qui permet de palier à un éventuel manque de couverture médiatique”, explique Emmanuel Esseul.
Dans la course à l’information sportive, l’externalisation peut devenir une solution pour traiter certains sujets et donc un plus grand flux d’actualité. Pour Eric Lagneau, journaliste et sociologue des médias, “les grands médias ne peuvent pas tout couvrir. Les médias spécialisés peuvent alors devenir des sources .” Cette externalisation se retrouve dans les incubateurs à médias, comme celui de Nantes. Les médias de niches peuvent apporter leur expertise aux “grands médias”. Concernant le sport, les médias ont déjà commencé à suivre cette logique d’externalisation. Il reste à voir si cette complémentarité est durable et si la relation entre médias de niches et les plus importants ne peut pas se transformer, à l’avenir, en concurrence.